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21 janvier 2010

LE SOLEIL d'Alexandre Sokourov 2005

 

 

 

logo_cinematheque_francaiseC'est notre Damien ! nouveau membre de l'équipe de MYKINOPRAVDA qui s'est rendu à la Cinémathèque pour voir "Le SOLEIL" d'alexandre Sokourov!

 

Synopsis : Aout 1945 au Japon. Le pays en ruines dévasté par les attaques alliées et la bombe atomique est sur le point de capituler. L'empereur Hirohito et ses généraux se terrent dans le bunker du palais impérial, attendant dans une tension insoutenable l'arrivée des américains. La guerre étant perdue, il n'y a qu'une issue à laquelle l'empereur doit (et veut) se soumettre : perdre son statut divin.  

 

C'est peu dire qu'il n'y a pas beaucoup de soleil dans lc film de Sokourov. Ou plutôt pas beaucoup de lumière. L'image d'ailleurs est très souvent extrêmement sombre et les couleurs ne brillent jamais. Il y a l'empereur, dieu vivant censé « rayonner » sur le Japon. Mais comment parler de rayonnement lorsqu'apparait à l'écran ce personnage fantasque, malingre et extrêmement terne, dépourvu de toute charisme, timide et déphasé comme un enfant qui aurait vécu toute sa vie dans l'obscurité, coupé du monde extérieur? Si le portrait que nous dresse Sokourov de ce personnage ne se veut pas scrupuleusement réaliste, pour autant il est tout aussi émouvant qu'étrange. Si dans la plupart des films historiques, et notamment  ceux sur la Seconde guerre mondiale, les figures des hommes de pouvoir ont très largement été appuyées jusqu'à la caricature (symptomatiquement Hitler, du personnage névrosé de La Chute à celui ridicule de Mon führer), dans ce f ilm au contraire pas d'outrance dans la caractérisation mais plutôt l'instauration d'un climat dans lequel se meut cette personnalité insolite, incroyablement interprété par Issey Ogata. 

Dès le premier plan, cette ambiance étrange et étouffante est posée, puisque le film  s'ouvre sur un espace dont nous ne sortirons que tardivement : le bunker où l'empereur s'est réfugié, espace temps complètement fermé qui semble se fondre avec l'état mental de cet homme quasi autiste. Ses vêtements verdâtres riment avec les lumières et les murs : l'homme est dans son milieu comme un animal dans son antre. La comparaison n'est pas si anodine : mi homme mi dieu, l'empereur nous donne aussi l'impression d'un animal des profondeurs qui se frotterait rarement à la lumière du jour. Les mouvements de sa bouche, surtout, sont frappants : tandis que sa voix reste d'une douceur et d'une sérénité aberrante pour la fonction qu'il occupe (il est maitre absolu du Japon) et le contexte dans lequel il se trouve (la guerre la plus meurtrière de leur histoire), les lèvres sont animées par des tics qui les déforment sans cesse, la mâchoire, comme désarticulée, s'ouvre et se ferme semblable à celle d'une carpe. La raideur de ses mouvements, ses gestes lents et méticuleux, sa démarche lorsqu'il erre dans les couloirs de son repaire : toute son attitude corporelle tend à le rapprocher du crabe. Et ce n'est pas un hasard si l'une des scènes les plus troublantes (et les plus belles) se porte sur la dissection d'un de ces animaux de mer lorsque, pour la première fois du film, Hirohito sort du bunker. Ce qui fascine ainsi dans l'instauration de cette ambiance, c'est la lenteur des gestes, comme si tout était au ralenti, comme si cet espace représentait une bulle de temps indépendante de toute réalité. Ou comme si l'agonie d'un pays prenait forme dans les mouvements imperceptibles et presque saccadés des fantômes qui peuplent ces souterrains. En ce sens, le travail sur le son est remarquable et nous livre la perception d'un personnage ultrasensible (là encore, comme un animal?) : bruit de grillons, craquements, mugissements ou bruits d'explosions, la bande son est remplies d'acouphènes irréalistes qui dilatent le temps, donnant aux actions les plus bénignes une tension palpable. Sokourov distille une ambiance oppressante par des nappes sonores complexes qui ne sont pas sans rappeler l'approche de la guerre par son maitre à penser Andrei Tarkovski dans Le Sacrifice. Les corps sont empêtrés dans la rigidité des conventions qui entoure le cérémoniel qu'est la vie quotidienne d'Hirohito : ch acun de ses gestes et des gestes autour de lui comptent. Celui ci ne semble même pas percevoir cette angoisse latente, ce qui l'accentue encore plus. Les visages sont crispés, perlés de sueur, proches de la grimace. L'empereur, lui, grimace aussi mais à la manière d'un enfant sans se rendre véritablement compte de l'amusement qu'il suscite : les américains en le martelant de photographies le compareront à Charlot. Très belle idée que celle de tirer ce personnage vers un burlesque auquel qu'on ne pouvait appréhender en allant voir le film : qui aurait d'ailleurs oublié qu'en 1940 le corps de Charlot à permis au cinéaste Chaplin de livrer au monde une critique mordante d'Hitler, l'allié d'Hirohito? Au cours d'une scène, l'empereur feuillette un album où les photos familiales côtoient les portraits des stars américaines : deux cultures, mis plus encore deux formes de divinité qui dans la sphère intime d'un album de famille s'affrontent. Emu, l'empereur contemple les différentes étapes de sa vie, autant dire les phases de sa métamorphose. D'enfant déjà paré du costume impérial il évolue page après page. Les intérêts d'Hirohito pour les théories évolutionniste de Darwin prennent alors leur pleine mesure et témoignent de ce qui obsède Sokourov : la transition, ou comment passer d'un état (dans tous les sens du terme) à un autre. Transition qui se retrouve à différentes échelles : tout d'abord, celle, centrale, qui motive probablement son intérêt pour ce sujet : la conversion d'un dieu en un homme. Comment devenir un homme lorsqu'on est un dieu ou comment être un homme lorsque l'on est considéré comme un dieu? Car au fond c'est bel et bien ici la même question. Dans l'avant dernière scène, l'empereur n'aura d'autre solution, pour ne pas être destitué que de renoncer à ses attributs divins. Ce passage d'un monde à un autre, Sokourov le met concrètement en son et en image par un intérêt fort pour la matière organique, perceptible dans les nombreux bruitages comme nous l'avons évoqué mais aussi dans les motifs visuel et les thèmes qui jalonnent le film :  le crabe bien sur, le animaux (grue), les plantes conservés dans le formol, la nourriture (le jambon, le chocolat). La encore, la scène où l'empereur se fait photographier par le américains est révélatrice. D'animal sacré, l'empereur est passé à bête de foire. De l'intérieur du bunker à l'extérieur, c'est le même pays mais c'est un autre monde : l.a transition est brutale, le pallier d'un porte. Et du « paradis » que représente le palais impérial (dixit un soldat américain) au monde en ruine qui l'entoure, c'est un passage de plus. Le basculement se fait aussi au niveau diplomatique : le Japon en cendre ne peut désormais que repartir à zéro car il est sous domination américaine. Ceux qui ne pourront évoluer, c'est à dire s'adapter à ce changement, sont condamnés à mourir tel cet ingénieur du son qui « s'est fait hara kiri » à la toute fin du film : Darwin là encore vient hanter les derniers plans et marque l'effondrement d'un système traditionnaliste tandis que le soleil-empereur, lui, disparait du champ pour aller retrouver ses enfants. La toute dernière image sera logiquement celle d'un soleil qui se couche (ou se lève? car cela revient au même) sur une ville détruite au dessus de laquelle flotte le brouillard, un nuage radioactif ou bien des cendres en suspension, peut les trois. A partir de là, le japon n'a plus d'autre choix que de tout recommencer. 

Peu avant que les américains ne viennent violer ce milieu que l'on croyait hermétique, le réalisateur nous fait ainsi pénétrer dans l'universautarcique d'un homme-enfant qui est aussi enfant-dieu. De la réalité extérieure, l'empereur n'aura pas la pleine conscience : dehors les derniers kamikazes se font sauter pour lui tandis qu'il s'adonne minutieusement à l'écriture de poèmes ou à l'étude des animaux des fonds marins. Cette histoire est autant celle d'un homme coupé de son peuple (on ne verra le désastre extérieur qu'au travers de quelques plans impressionnants sur les ruines de la ville et lors d'une scène hallucinatoire métaphorisant la destruction atomique) que celle d'un être coupé de lui même, obligé d'incarner un rôle pour lequel il n'était pas fait et qui lui sied comme une armure encombrante, une étrange carapace. Un homme (car, comme il le dit lui même, « je n'ai aucun attribut divin ») qui est constamment entouré et épié malgré lui et qui au final se retrouve, avant même de se rendre aux Alliés, prisonnier de sa propre solitude. Sa mue de « dieu » à « homme », il la fera d'ailleurs seul (mais là encore sous le regard d'un tierce, son serviteur) dans une scène inquiétante, à la tonalité surnaturelle : sous une lune tout droit sortie d'un tableau romantique, il est pris d'un rire nerveux, semblable (ironiquement) à celui d'un savant fou qui voudrait exorciser le traumatisme de tout un peuple. Au début du film, Hirohito évoquait la possibilité d'être le dernier japonais (tous les autres sont censés se sacrifiés pour lui) : il convoquait alors l'idée de l'extinction d'une espèce toute entière. Plus que le récit épique du rayonnement d'un homme, le Soleil est donc un grand film sur le crépuscule d'une ère. 

 

 

Damien

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